Transposition belge de la Directive 2022 2523 visant à instaurer un taux effectif d’imposition de minimum 15%
Le Conseil des ministres a approuvé en première lecture, fin juin 2023, l’avant-projet de loi portant sur l’introduction d’un impôt minimum pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure (ci-après « l’avant-projet de loi »). Cet avant-projet de loi vise la transposition en droit interne belge de la Directive 2022/2523 visant à assurer un niveau minimum d’imposition mondial pour les groupes d’entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l’Union (ci-après « La Directive »). L’objectif est, in fine, de parvenir à un taux d’imposition effectif (« Effective Tax Rate » ci-après « ETR ») de minimum 15%.
La Directive devrait être transposée d’ici la fin de l’année 2023 et la nouvelle législation couvrirait donc les exercices fiscaux débutant après le 31 décembre 2023.
Qui est visé ?
Le champ d’application de l’avant-projet de loi couvre toutes les entités situées en Belgique faisant partie d’un « groupe d’entreprises multinationales » (ci-après « groupe d’EMN« ) ou d’un « groupe national de grande envergure » dont le chiffre d’affaires mondial consolidé a atteint ou dépassé 750 millions d’euros à l’issue d’au moins deux des quatre exercices fiscaux précédents.
Précision terminologique
- Un groupe d’EMN est, selon la Directive et l’avant-projet de loi, un groupe comprenant au moins une entité ou un établissement stable qui n’est pas situé dans la juridiction de l’entité mère ultime.
- La notion d’« entité mère ultime » désigne toute entité qui détient, directement ou indirectement, une participation conférant le contrôle dans une autre entité et qui n’est pas détenue, directement ou indirectement, par une autre entité ayant une participation conférant le contrôle dans l’entité concernée. Cette notion renvoie également à l’entité principale d’un groupe.
- Un « groupe national de grande envergure » désigne tout groupe dont les entités constitutives sont établies dans le même État membre de l’Union européenne.
Il est important de noter que les établissements stables sont considérés comme des entités distinctes et que le chiffre d’affaires réalisé dans un pays donné n’est pas pertinent. Seul le critère du chiffre d’affaires mondial consolidé de 750 millions d’euros est pris en compte. Ainsi, une entité nationale et autonome, même si elle réalise un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros, ne sera pas soumise au régime de l’ETR minimum, car elle n’est membre ni d’un groupe d’EMN ni d’un groupe national de grande envergure.
Comment déterminer le chiffre d’affaires consolidé ?
Le chiffre d’affaires mondial consolidé représente la somme des bénéfices et/ou des pertes des entités qui composent le groupe. Afin de calculer le bénéfice ou la perte admissible d’une entité, il faut partir du résultat net comptable de cette même entité et effectuer une série d’ajustements (conformément aux dispositions des articles 9 à 13 de l’avant-projet de loi).
Comment déterminer l’ETR ?
L’Effective tax rate se calcule par juridiction et non pas par entité. Pour calculer l’ETR, il faut déterminer le revenu global des entités situées en Belgique.
L’ETR est calculé en divisant la charge d’impôt (désignée comme « impôt concerné ») par la somme des résultats de chaque entité belge du groupe. La formule peut être schématisée comme suit :
- Taux effectif d’imposition = montant des impôts concernés des entités belges (après ajustement) divisé par montant du résultat comptable net des entités belges.
Par exemple :
- La société Belco A est l’entité mère ultime du groupe national de grande envergure (basé en Belgique)
- Belco A détient une participation dans Belco B et Belco C, qui sont des entités du groupe belge
- La somme des impôts concernés ajustés de Belco A, Belco B et Belco C s’élève à 135.000 euros
- Le bénéfice net éligible de ces entités est de 1 million d’euros
- L’ETR est de 13,5 % qui correspond à : (135.000 / 1.000.000) * 100%
En vertu de l’article 11 de la Directive, il est prévu qu’un impôt complémentaire (ou « Top-up tax ») soit imposé si l’ETR est inférieur à 15%. La Belgique a choisi d’adopter cette option et mettra donc en place un impôt national complémentaire qualifié en cas de non-atteinte du taux minimum requis.
Le pourcentage de cet impôt complémentaire est égal à la différence entre le taux d’imposition effectif et 15%.
A ce stade, la situation peut être résumée comme suit :
- ETR national = montant des impôts concernés des entités belges (après ajustement) divisé par montant du résultat comptable net des entités belges
- Impôt national complémentaire qualifié = ETR national – ETR minimum
Le « bénéfice excédentaire » auquel ce pourcentage doit être appliqué ne correspondra pas au revenu brut et devra être ajusté en fonction du degré de « substance » du groupe d’EMN (ou du groupe national de grande envergure) en Belgique. Cet aspect nécessite encore quelques éclaircissements du législateur.
Ainsi, le « bénéfice excédentaire » est obtenu par la formule suivante :
- Bénéfice excédentaire = Bénéfice net admissible – Bénéfices liés à la substance
L’exclusion des bénéfices liés à la substance joue un rôle essentiel pour le calcul de l’impôt complémentaire. Cette exclusion englobe deux éléments importants : d’une part, les coûts salariaux, et d’autre part, les actifs corporels.
- Une exclusion pour les coûts salariaux
Les coûts salariaux entrant en ligne de compte sont les dépenses liées aux avantages sociaux des employés, y compris les salaires, les traitements, les impôts sur les salaires et le travail et les autres dépenses procurant un avantage direct et personnel à l’employé, telles que les cotisations de santé et de retraite et les cotisations de sécurité sociale de l’employeur.
- Une exclusion des actifs corporels
Les actifs corporels pris en compte sont :
- Les actifs corporels situés en Belgique ;
- Les ressources naturelles situées en Belgique ;
- Le droit d’utilisation d’actif corporel situé en Belgique par un preneur à bail ;
- Une licence ou un accord similaire des pouvoirs publics pour l’utilisation d’un bien ou l’exploitation de ressources naturelles impliquant un investissement important en actifs corporels.
Selon l’exposé des motifs de l’avant-projet de loi, cette réduction de l’impôt complémentaire s’applique en principe par choix de l’entité déclarante.
En résumé, plus un groupe d’EMN (ou du groupe national de grande envergure) démontre une présence économique significative en Belgique, moins il sera soumis à l’impôt complémentaire. En conséquence, les groupes d’EMN pourront bénéficier d’un taux d’impôt inférieur à 15% sur leurs revenus en Belgique s’ils peuvent démontrer une empreinte économique notable en termes de salaires et/ou d’immobilisations corporelles. L’objectif sous-jacent est de soutenir les activités nécessitant une forte présence locale.
L’avant-projet de loi prévoit que l’impôt complémentaire dû pour l’entité belge sera nul pour l’année fiscale en question si deux conditions cumulatives sont remplies :
- Le chiffre d’affaires moyen de l’ensemble des entités belges est inférieur à 10 millions d’euros ; et
- Le bénéfice moyen ou la perte moyenne de l’ensemble des entités belges est soit une perte, soit un bénéfice inférieur à 1 million d’euros.
Les deux moyennes seront calculées sur base de l’année en cours de laquelle l’exception est demandée et des deux années précédentes.
Dispositions pénales et sanctions
L’avant-projet envisage de mettre en place des dispositions pénales visant à sanctionner toutes infractions au texte législatif. Ces sanctions devraient avoir un caractère suffisamment « dissuasif » selon l’exposé des motifs.
Ces mesures incluent des majorations d’impôts ainsi que des amendes administratives. Pour les majorations d’impôts, le système en vigueur pour l’impôt des sociétés sera maintenu. En ce qui concerne les amendes administratives, le texte de l’avant-projet loi fait état de sanctions allant de 2.500 € à 250.000 €.
De plus, l’avant-projet de loi exprime la volonté d’établir une responsabilité solidaire entre les différentes entités d’un groupe pour l’impôt national complémentaire, ainsi que pour les sommes liées à celui-ci (telles que les intérêts de retard ou les majorations pour insuffisance de versements anticipés).
Conclusion
L’avant-projet de loi apporte des changements significatifs dans le paysage fiscal en introduisant un ensemble de concepts spécifiques. Les entreprises faisant partie d’un groupe d’EMN ou d’un groupe national de grande envergure devront se familiariser avec ces concepts pour anticiper toute imposition complémentaire, que ce soit en Belgique ou dans d’autres juridictions.
Cependant, des incertitudes persistent quant à la manière dont les règles de détermination du revenu ou de la perte réalisée au sein d’une même juridiction seront mises en place et appliquées de manière effective, sachant qu’elles reposent largement sur les normes IFRS.
Il est intéressant de souligner que la Belgique a décidé de ne pas intégrer ce régime d’impôt minimal dans le Code des impôts sur les revenus (CIR).
En raison de cette complexité, le régime de l’ETR minimum entraînera l’application du délai d’imposition et de contrôle de 10 ans, qui est prévu dans le Code des impôts sur les revenus (CIR) pour les déclarations jugées « complexes ». Même si l’impôt national complémentaire lié à ce régime ne requiert normalement que des données purement nationales et ne comporte pas d’élément transfrontalier, et qu’il ne nécessite pas d’échanges internationaux de données supplémentaires pour les contrôles, il sera tout de même soumis au délai d’investigation et de contrôle de 10 ans. Cette situation aura un impact significatif sur la sécurité juridique des contribuables concernés.
Pour finir, l’avant-projet de loi mentionne la possibilité de soumettre des questions anticipées de manière informelle à un service désigné au sein du SPF Finances. Bien que l’avant-projet ne précise pas explicitement quel service sera compétent, cette faculté est très intéressante et pourrait permettre d’anticiper tout impôt complémentaire.
Article coécrit par Soufian Wielemans & Coralie Tilleux
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